Depuis plusieurs mois, les enseignantes, enseignants et les CPE sont confrontés individuellement et directement à une demande croissante de la part des familles. Elle prend diverses formes mais elle peut être résumée ainsi : empêcher que des élèves absent-e-s ne prennent du retard. Concrètement, des messages électroniques adressés à un-e professeur-e, à une équipe ou à un-e CPE demandent de bien veiller à ce que « l’intégralité des cours soient transmis », d’envoyer tout ce qu’il faut pour « rattraper »…

Le souci des familles que leur enfant subisse le moins de conséquences d’une absence, pour maladie par exemple, est légitime. Et il peut être difficile, par exemple pour un élève de collège absent une semaine, de se mettre à jour dans une dizaine de matières sur plus de 20 heures d’enseignement hebdomadaires. Difficulté qui peut être accrue par la jeunesse de l’élève, des difficultés d’apprentissage, la situation familiale… Toutefois, l’expression par des familles de ce souci sous formes d’exigences qui entendent modifier ou modeler le travail des enseignant-e-s pose un nouveau problème. D’autant plus quand elles sont soutenues par certaines directions.

Que disent les textes ?

Le cahier de texte numérique, dans la circulaire de 2010 qui reprend la circulaire de 2011, est la référence des cahiers de textes individuels des élèves. Ces derniers et leurs représentants légaux doivent pouvoir y trouver les devoirs donnés et les documents nécessaires pour le faire. Le cahier de texte numérique doit aussi contenir les documents ou fiches d’exercices donnés en classe et qui ne sont pas dans le manuel (Note : sans que la problématique des droits d’auteur de l’enseignant ne soit évoquée d’ailleurs). Il n’est pas indiqué que le cahier de texte numérique constitue la référence du « cahier de cours » de l’élève. Il n’est écrit nulle part que le cahier de texte doit permettre à un-e élève absent-e de disposer de l’ensemble du cours dispensé. Dans la circulaire, lorsque « la continuité » est cité, c’est en référence uniquement à une suppléance du professeur. « Il [le cahier de texte numérique] permet, en cas d’absence ou de mutation d’un professeur, de ménager une étroite continuité entre l’enseignement du professeur et celui de son suppléant ou de son successeur. » C’est dans cet objectif qu’il faut comprendre le passage suivant : Le cahier de textes mentionnera, d’une part, le contenu de la séance et, d’autre part, le travail à effectuer, accompagnés l’un et l’autre de tout document, ressource ou conseil à l’initiative du professeur, sous forme de textes, de fichiers joints ou de liens.

La continuité pédagogique : Plusieurs notes et articles ont été aussi écrits sur la continuité pédagogique, sous la forme de l’enseignement à distance grandement improvisé, ses difficultés, son coût pour les personnels, son efficacité… Des travaux de recherches paraissent également.

Rappelons un point essentiel. Dans tous les textes officiels, la continuité pédagogique ne s’applique pas à des absences individuelles, elle ne s’applique pas dans le cas d’un-e ou de quelques élèves absents.

Textes et ressources officielles sur la continuité pédagogiques.

Ces textes ne permettent donc pas d’exiger d’un enseignant qu’il mette en ligne, d’une manière ou d’une autre, l’intégralité de son cours, les activités qui se sont déroulées pendant la séance, la trace écrite in extenso, qu’elle soit préparée à l’avance ou qu’elle soit l’œuvre des élèves…

Est-ce notre métier ?

Les demandes ou exigences, formulées par des directions, par des élèves ou des parents ont pourtant bien été ressenties par bien des enseignantes et enseignants. Non pas qu’ils refusent de communiquer leur cours ou tiennent à les garder secrets. Mais « l’absurdité » et l’injustice des injonctions les heurtaient. Une absurdité bien difficile, comme souvent, à expliquer spontanément à ceux qui ne sont pas du métier. Mais prendre le temps de revenir sur des évidences, pour les professionnels, peut permettre d’être compris.

Les cours sont en effet conçus pour donner lieu à des apprentissages, des interactions, des activités, des réalisations… pour des élèves en classe. Même si les séances en classe sont liées à du travail à la maison, à des outils numériques, les enseignants et enseignantes ne les conçoivent pas en pensant à leur publication sur une plate-forme numérique ou pour qu’ils permettent des acquisitions à un élève seul chez lui.

Si la publication de tout cours sur l’ENT en vue d’un niveau d’acquisition équivalent à celui qui se passe en classe devenait un objectif cela reviendrait à restreindre les capacités d’action des professeur-e-s. Ou à passer à de l’enseignement à distance, ce qui est une autre activité.

Et transformer ce qui a été fait en classe en quelque chose de publiable sur l’ENT serait un travail à part entière, nouveau, consommateur de temps, à l’efficacité et aux résultats bien incertains. Se débattre avec des fonctionnalités inadaptées aux documents utilisés en classe, découvrir les formats et les tailles (en Mo) de pièces jointes acceptées ou refusées par la plate-forme, et donc modifier de nombreux documents, en sont de petits exemples.

bureau d'un professeur avec un ordinateur, une imprimante et des manuels
Travail invisible !

Certes, des enseignants mettent à disposition des contenus assez fournis de leur séance. Mais ce n’est pas le cours qui a eu lieu. L’élève qui copie, imprime, en écoute ou visionne selon les cas l’intégralité de ce qui a été déposé n’aura cependant pas « eu le cours », au sens où il n’y aura pas assisté au sein de la classe, dans son collectif de travail pour lequel il a été prévu. En fonction de ses acquis, de son autonomie, de son environnement familial, il en tirera profit, plus ou moins, ou presque pas.

Disons-le assez sans détour, créer des cours à destination de l’ENT ou d’élèves qui ne sont pas en classe est une activité totalement différente d’enseigner en classe, qui est le cœur du métier.

Quelles responsabilités ?

En revanche, la prise en charge des difficultés qui peuvent résulter d’une absence assez longue pour un élève devrait être une responsabilité collective prise en charge par l’institution. Quels moyens existe-t-il actuellement pour aider un élève fragile absent trois semaines à ne pas perdre pied ?

Que fait le ministère ? Il supprime des postes et augmentent les effectifs par classe. Que font les recteurs et les Dasen ? Des discours pour dire qu’il ne faut laisser aucun élève au bord du chemin et laissent les régions ou les départements fournir des ENT plus ou moins efficaces. Que font les chefs d’établissement ? Ils produisent des injonctions qui relaient les demandes des parents.

Il convient donc de ne pas se laisser piéger par le processus à l’œuvre, dont nous avons bien d’autres exemples.

L’institution, qui a de moins en moins de moyens, est apparemment impuissante à assumer une responsabilité dont, en fait, elle ne se préoccupe que peu ou pas. Elle laisse celle-ci échoir aux agents de terrain dans des formes qui ne sont pas cadrées ; une partie de la hiérarchie peut même contribuer insidieusement à ce glissement. Confrontés directement à des demandes, les professionnels de bout de chaîne doivent improviser pour assumer des tâches qu’on leur laisse penser être de leur seule responsabilité personnelle.

Il y a donc nécessité de se munir syndicalement pour refuser toute dérive de nos missions et responsabilités.

Secteur métier.

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