4 janvier 2010

Carrière et mutations

1er licenciement pour insuffisance professionnelle dans l’académie de Lille

A la veille de Noël, le ministère a décidé de licencier un agrégé de maths pour lequel la CAPA s’était réunie en octobre (8 voix contre le licenciement, 9 voix pour, 1 abstention). Nous avons dénoncé à la fois la procédure mais aussi le dispositif mis en place pour "gérer" des collègues en difficulté et nous continuerons à le faire.

Ci dessous, l’édito du bulletin académique de novembre et le texte de la circulaire envoyée dans tous les établissements pour début janvier


Edito du BA novembre 2009

L’an passé, une chanson avait fait ce qu’on appelle un « buzz » sur internet : elle ironisait sur le décalage entre la perception que certains peuvent avoir des enseignants, « fonctionnaires privilégiés », et la réalité d’un quotidien parfois peu enviable. Le refrain se plaisait à scander « Et j’compte même pas la sécurité d’l’emploi".

Depuis juillet et le vote de la loi de mobilité dont les décrets d’application sont attendus en novembre, la chanson est devenue caduque, tout au moins le refrain, puisque (article 51) : « le fonctionnaire mis en disponibilité qui refuse 3 postes qui lui sont proposés en vue de sa réintégration peut être licencié après avis de la commission administrative paritaire. » On imagine sans peine ce que cela pourrait donner pour les personnels ou les disciplines considérés comme surnuméraires !

A cette brèche dans nos statuts s’ajoute une possibilité jamais encore usitée jusqu’ici à Lille mais que le rectorat pourrait multiplier à compter de cette année, après un 1er cas soumis au vote d’une commission disciplinaire lundi 19 octobre : le licenciement pour insuffisance professionnelle pour un agrégé ayant 20 ans d’expérience (7 cas au total en France en 2008 – 2009).

Ces nouveaux modes de gestion sont inacceptables, on sait quels effets tragiques ils ont déjà dans le privé, on devine quels effets ils auront dans une profession qui doute (selon une enquête du ministère, 67 % des professeurs des collèges et lycées se sentent concernés par le « malaise enseignant », 27 % songent à quitter l’enseignement). Ils sont le résultat d’une politique elle aussi inacceptable, liée à la LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finances qui raisonne en plafond d’emplois et en fongibilité irréversible de ceux-ci en crédits de fonctionnement) et à la volonté de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux.

Pour le SNES et la FSU, il est urgent de revenir à une autre conception du service public, il est urgent d’ouvrir véritablement les chantiers de la revalorisation de nos métiers à tous les niveaux (conditions de travail et hausse significative des salaires), ainsi que celui de la seconde carrière. Ce sont ces mots d’ordre que nous porterons haut et fort avec la profession lors de la grève nationale du mardi 24 novembre, en appelant à débattre le jour même de la reconduction du mouvement.


Circulaire envoyée dans les établissements pour janvier 2010

Contrats de progrès – commission disciplinaire – licenciement

Comment sont « gérés » les collègues en difficulté dans l’académie de Lille ?

Tout commence par un signalement effectué par un chef d’établissement ou un IPR, parfois à la suite de plaintes de parents ; certains collègues ont rencontré des difficultés après de nombreuses années d’enseignement sans problème avéré ou signalé jusque là.

Les conditions d’enseignement se dégradent pour tous, comme nous en faisons état régulièrement dans nos publications (effectifs en hausse, augmentation du nombre de classes en charge, …), la durée des carrières s’allonge, ce qui peut amener certains collègues à se laisser déborder dans l’exercice de leurs missions. En employeur consciencieux, le rectorat met-il tout en place pour aider le collègue pour qu’il ne s’enfonce pas dans ses difficultés ? Manifestement non.

L’inspection pédagogique régionale établit d’abord un bilan des insuffisances professionnelles du collègue. Parfois, on propose une aide sous forme de tutorat ou on suggère au collègue de s’inscrire à des stages de remédiation.

On pourrait alors s’attendre à ce que l’institution continue à « s’occuper » du collègue pour ne pas le laisser seul, pour continuer à lui proposer ses aides après avoir laisser le temps de la réflexion au collègue … mais ce n’est parfois que trois ans plus tard que le collègue se fait convoquer par le DRH du rectorat pour un entretien face au doyen de l’inspection, son chef d’établissement et d’autres membres de l’administration, un vrai tribunal où il est le seul accusé. La rencontre se transforme rapidement en un véritable réquisitoire à charge, déstabilisant, traumatisant et même destructeur pour des profs déjà en position de fragilité. Au bout d’une heure, après avoir été quasiment convaincu d’être le pire enseignant de l’académie, le verdict tombe inéluctablement : contrat de progrès à signer (dans le cas contraire, le collègue est menacé de la possibilité d’entamer directement une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle).

Mais qu’est-ce donc que ce contrat de progrès ?

Derrière ce vocable de contrat de progrès se cache un dispositif de tutorat de 2 mois qui a concerné 25 collègues ces 3 dernières années et qui servira surtout à donner bonne conscience à une institution plus apte à se défausser de ses responsabilités et à enfoncer davantage les individus qu’à leur tendre la main car, au bout du compte, comment véritablement espérer renverser des situations de souffrance professionnelle sur un laps de temps aussi court ? Bien souvent, l’issue sera médicale (congé maladie et retraite pour invalidité), pour les autres, l’administration se servira de ce dispositif pour prétendre qu’elle a tout fait pour aider le collègue, sic !

Concrètement, le collègue est déchargé de la moitié de son service pendant une période de 2 mois et assure ses cours devant ses classes dans l’autre moitié, en espérant que son chef d’établissement aura su inventer un bon subterfuge pour expliquer la situation mise en place. Pendant son mi-temps dégagé, un tuteur vient dans sa classe (parfois pour 2 ou 3 visites) et le collègue effectue quelques séances d’observation dans la classe du tuteur pour voir comment enseigne un … bon prof à peine informé de ce qui lui arrive et pas vraiment heureux de se voir confier un tel rôle et une telle responsabilité !!!
Mais pour pouvoir « progresser », il est nécessaire d’observer un établissement et des classes similaires, ce qui n’est pas forcément le cas. Et c’est l’engrenage, l’inspection de nouveau vient faire un bilan pour juger de l’évolution, parfois positive, parfois négative. C’est cette situation qu’a vécu un agrégé de maths que l’administration souhaite licencier pour insuffisance professionnelle après avoir fait le constat de l’échec du contrat de progrès, sans rien mettre en place d’autre pendant l’année qui s’est écoulée ensuite.

Ce n’est pas notre vision de l’aide à apporter aux collègues en difficulté

Il est évident que la toute première aide à apporter aux collègues en difficulté est celle pouvant être apportée par ses propres collègues. En effet, ce sont eux qui sont les plus à mêmes de les conseiller lorsqu’il y a des difficultés avec des élèves qu’ils connaissent eux-mêmes ou lorsqu’un souci apparaît dans la discipline du collègue.

Ceci doit pouvoir permettre d’éviter que le problème ne remonte plus « haut » et de déclencher un engrenage difficile ensuite à arrêter.

Quand les inspecteurs commencent à entrer en scène, il ne faut pas qu’ils interviennent d’emblée pour porter la sanction, mais ils doivent retrouver leur rôle premier, à savoir le conseil. Et ce conseil ne doit pas rester sans lendemain : l’inspection se doit d’assurer le suivi, et pas seulement sous la forme d’une nouvelle inspection un an plus tard comme c’est trop souvent le cas. Cela peut prendre du temps pour certains collègues de prendre conscience et accepter ses difficultés, cela prend également du temps de se remettre « sur les rails » ; il est donc indispensable de donner le temps nécessaire pour cela (et ne pas ajouter une pression supplémentaire en fixant la mission impossible de rétablir une situation qui dure parfois depuis des années en 2 mois), d’aider les collègues à se relancer en les incitant par exemple à suivre des formations et autres procédures d’aide mises en place.

Enfin, il arrive que certains enseignants soient demandeurs de reconversion, ce qui leur permettrait d’entamer une nouvelle vie professionnelle. Or, toutes les promesses faites sur la reconversion, sur la seconde carrière, ne sont absolument pas tenues. Ou alors la reconversion n’est ouverte que parce que cela arrange l’administration à un moment donné (reconversion STI vers maths ou techno).