Par Georges Gastaud
En 1992, lors du référendum sur Maastricht, puis en 2002 lors du passage à l’euro, des militants U et A ont en vain invité la direction de la FSU à s’engager contre une intégration capitaliste européenne antinomique du maintien des services publics, des acquis sociaux, du pouvoir d’achat, du statut de la fonction publique et du service public et laïque d’Education nationale. En 2003, nombre d’enseignants grévistes ont compris que les contre-réformes (retraites, décentralisation) n’émanaient pas seulement de Raffarin et du MEDEF, mais aussi de l’Union européenne à travers le pacte de stabilité, le projet d’Europe des régions et l’accord de Barcelone signé par Chirac et Jospin.
Aujourd’hui, avec la constitution européenne, c’est un seuil irréversible qu’on nous somme de franchir dans le démontage de la République une, laïque et indivisible, de la souveraineté populaire et de l’Education nationale.
En effet, le texte giscardien grave le cléricalisme et le néolibéralisme dans le marbre d’une loi fondamentale non révisable (il y faudrait l’accord des 25 Etats !). Cléricalisme, puisque la constitution « oublie » la laïcité, vante « l’héritage religieux et humaniste de l’Europe » et oblige les Etats membres au dialogue permanent avec les Eglises, en violation de la loi française de 1905 portant séparation des églises et de l’Etat. Néolibéralisme et capita-lisme obligatoires puisque la constitution stipule que l’UE est une « économie sociale de marché où la concurrence est libre et non faussée » et interdit aux pays membres de mener chez eux une politique en contradiction avec celle de l’UE, ce qui exclut totalitairement toute rupture avec le capitalisme et constitutionnalise le démontage des services publics (les « services d’intérêt général » peuvent être privés !). Alors que les mots concurrence et marché reviennent respectivement plus de 70 fois dans le texte, les mots « droits des travailleurs » et « souveraineté popu-laire » y sont carrément forclos. Seraient ainsi constitutionnalisées à jamais une pensée et une politique uniques qui rendront purement formelles les consultations électorales dans chaque pays transformé en europrovince !
Doter l’UE d’une constitution l’emportant sur les constitutions nationales (Europe fédérale), c’est en outre créer un Etat euro-impérial déconnecté des volontés populaires exprimées dans le cadre des nations. Faut-il aider l’oligarchie financière et ses commis de la droite et de la gauche-caviar à instituer une « Europe-Puissance », avec présidence, diplomatie, police intégrées et armée insérée dans l’OTAN, avec obligation faite à chaque Etat de renforcer ses dépenses militaires y compris pour « des missions en dehors de l’Union » ? Certes, en 1914, les guerres impérialistes se sont enclenchées autour d’Etats-nations. Mais le capitalisme remondialisé n’a plus de patrie et se reconstitue autour d’impérialismes continentaux, alliés pour écraser les peuples et les mouvements sociaux, et néanmoins concurrents tous azimuts pour l’hégémonie mondiale. Des syndicalistes de lutte cautionneront-ils cette entreprise mortelle au nom de l’introuvable « Europe sociale » ?
Pour défendre l’Education nationale et la Recherche publique, développer l’Europe inter nationale des luttes (qui s’oppose à l’Europe supra nationale du capital), pour résister et transformer la société, U et A doit rester fidèle à elle-même, rompre avec la CES et se démarquer des états-majors syndicaux qui s’y rallient. Sous peine de division et de discrédit, UA doit appeler la FSU à dire non à l’euroconstitution et à amplifier la lutte pour le retrait des rapports Thélot-Camdessus ainsi que des autres contre-réformes eurolibérales. Toute dérobade serait une défaite du syndicalisme laïque de lutte de classe dont nous sommes les héritiers.