Réforme de l’évaluation : vers la stagiarisation à vie ?

Après 6 ans de gel du point d’indice, les accords PPCR en voie de finalisation mettent fin à ce qui se traduisait dans les faits par une baisse du pouvoir d’achat des fonctionnaires, car l’inflation, elle n’a pas été gelée, de même que les prélèvements obligatoires (notamment les prélèvements retraite en constante augmentation).

Il s’agit donc bien d’une revalorisation acquise par l’obstination des organisations syndicales qui n’ont eu de cesse de mobiliser – en premier lieu le SNES et la FSU – et si elle n’est ni à la hauteur de nos attentes, ni de nos qualifications et responsabilités, elle doit cependant servir de point d’appui pour obtenir plus et mieux, en n’oubliant personne : il faut en effet attirer les étudiants en augmentant les salaires de début de carrière, mais il faut aussi garder les titulaires en leur offrant de vraies perspectives, y compris pour les biadmissibles et les agrégés, grands oubliés du projet.

Là où le bât blesse, c’est que le PPCR est adossé à une refonte complète de l’évaluation qui nous semble tellement porteuse de risques et dysfonctionnements potentiels qu’elle nous ferait regretter un existant qui pourtant n’est lui non plus pas satisfaisant.

Le point positif, c’est la deconnexion évaluation / avancement : en passant les échelons tous au même rythme, nos rapports à l’inspection et au chef d’établissement s’assainissent, et les IPR redeviennent les conseilleurs qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être. Mais le ministère a opté pour le rythme intermédiaire, au choix, alors que nos évaluateurs (qualifiés d’ « évaluateurs primaires » dans le projet), chefs d’établissement et IPR, eux, avancent tous au même rythme, le grand choix. Pourquoi ce traitement défavorable pour les enseignants ?

Pour le reste, difficile de trouver de quoi se réjouir :

 un enseignant (les textes ne traitent pas encore du cas des CPE) aura 4 « rendez-vous de carrière »  : un pour espérer gagner un an entre le 6e et le 7e échelon, puis un autre entre le 8e et le 9e échelon, un troisième au moment du passage à la hors-classe* (possible dorénavant seulement à partir du 9e échelon), et un dernier pour un passage à la classe exceptionnelle* (accès très restreint à ce stade des négociations, à la fois par le nombre de promotions prévues et par les critères annoncés pour y accéder).

 Le rectorat dresse la liste des personnels promouvables au cours de l’année scolaire et les informe en juin de l’année N-1 ainsi que les inspecteurs et chefs d’établissement. L’enseignant sera prévenu ensuite de la date précise de son « rendez-vous » un mois à l’avance.

 Un « rendez-vous » de carrière consiste en une inspection en classe suivie d’un entretien avec l’IPR, puis, dans les 6 semaines, d’un entretien avec le chef d’établissement (sur la base de quoi ? Le chef d’établissement assiste t-il à l’inspection ? Va t-il faire une explication de texte du rapport d’inspection ? Avec quelles compétences disciplinaires ? En effet, même si l’administration cherche à nous convaincre que le chef d’établissement est le « premier pédagogue » de l’établissement (sic !), nous ne pratiquons pas de la pédagogie hors-sol, et nos interventions auprès des élèves sont avant tout disciplinaires). Les 2 entretiens donneront lieu à une appréciation générale qui ne sera plus chiffrée, mais uniquement basée sur des compétences ou cases à cocher, permettant quand même de classer les personnels (re sic !).

 Cerise sur le gâteau : tout cela est précédé d’un « bilan professionnel » rédigé par l’enseignant lui-même comportant un rappel de la carrière et surtout une appréciation de 20 lignes de ses propres compétences disciplinaires, pédagogiques et didactiques, ainsi que d’une deuxième analyse de 10 lignes sur sa façon de coopérer avec l’équipe, les parents et les autres partenaires de l’école (?). Autant dire que cet exercice n’a aucune valeur : il y aura ceux qui vont s’auto-censurer et ceux qui vont savoir mettre en valeur le moindre élément de leur pratique.

 Entre 2 rendez-vous de carrière, le rôle du chef d’établissement va devenir prépondérant car il est prévu des entretiens à intervalle régulier avec lui « dans le cadre de l’accompagnement ».

Le ministère essaie de nous vendre l’ensemble en arguant qu’il sera dorénavant possible de porter tout différend devant les CAPA (commissions administratives paritaires académiques), ce qui n’était le cas jusqu’à présent que de la contestation des notes administratives. Mais tous les élus en CAPA savent que si entre 50 et 70 % des notes administratives sont modifiées lors des commissions, les appréciations littérales ne sont, elles, transformées que lorsqu’elles mentionnent une situation médicale ou une appartenance syndicale. Autrement dit, le garde-fou n’en sera pas un.

Au final, le projet veut nous transformer en « stagiaires à vie » : les compétences peuvent être remises en cause d’une année sur l’autre, ce qui n’est pas le cas de notes qui servent de base et peuvent être difficilement diminuées. Bref, un projet à rejeter de toute urgence !

*Le SNES-FSU considère que la hors-classe et la classe exceptionnelle doivent être transformées et intégrées dans la grille indiciaire pour être accessibles à tous en fin de carrière