Le projet contesté de réforme du collège soumis au CSE le 17 avril veut modifier profondément l’organisation des enseignements afin d’assurer « la réussite du plus grand nombre et en luttant contre le déterminisme social ». Il entend pour cela confier aux « acteurs locaux », essentiellement en réalité aux chefs d’établissement, la mise en œuvre d’une réorganisation profonde des horaires, des programmes et des pratiques d’enseignement.
Si l’on suit la présentation du Ministère (http://www.education.gouv.fr/cid86831/college-mieux-apprendre-pour-mieux-reussir.html), la « refondation » du collège sous un angle exclusivement pédagogique, et pilotée localement, serait donc la condition nécessaire et suffisante pour lutter contre un collège « profondément inégalitaire ».
Pourtant, il n’est question dans cette présentation que des inégalités « entre élèves » -qu’il faut évidemment réduire-, sans dire un mot de la concentration de ces élèves dans les établissements situés dans les quartiers populaires : alors que l’éducation prioritaire a vu son périmètre et son organisation revue il y a seulement quelques semaines, l’impasse est faite sur les collèges REP/REP+, dont les difficultés pèsent lourdement sur les mauvais résultats du système éducatif français aux évaluations internationales ... Résultats qui servent pourtant de prétexte à la réforme engagée.
Cette absence de référence au cadre institutionnel qui distingue les collèges « ordinaires » de ceux de l’éducation prioritaire nous paraît, au-delà du paradoxe, très révélatrice de la mécanique interne de la réforme portée par N. Vallaud-Belkacem dont les effets pourraient être dévastateurs sur les élèves et les collèges de l’enseignement public.
En effet, ce projet repose sur une idée majeure : il serait positif de privilégier une organisation des enseignements définie localement « pour sortir de l’uniformité et s’adapter à la diversité des besoins des élèves ». Cette belle ambition dissimule en réalité 2 dangers majeurs :
1) Le projet va dans le sens d’une hiérarchisation plus forte des collèges, certains orientant les « marges horaires à disposition » vers la transmission des savoirs disciplinaires exigeants, d’autres vers des dispositifs pédagogiques non cadrés via l’interdisciplinarité à tout crin.
2) Le projet risque d’amplifier les processus de ségrégation internes aux établissements, qui se substitueront simplement aux pratiques actuelles (choix d’options par exemple) : on peut envisager l’organisation d’EPI différenciés suivant les élèves concernés (certains axés sur les savoirs, d’autres sur la « pratique ») ; ou encore la création de classes ou de groupes « à profil » (en réalité « de compétence » et donc de niveau). La « souplesse » et « l’autonomie » donneraient encore plus de « marge » à des ébauches de filières déjà à l’œuvre dans le système actuel, tout en les dissimulant plus facilement derrière les « marges de manœuvre » de 20 % du temps d’enseignement.
On le voit, la réforme permettrait des choix locaux susceptibles d’aller à l’encontre des objectifs affichés par le ministère en termes d’égalité.
Globalement, c’est bien la dérégulation de l’organisation des enseignements qui impacterait les contenus et dispositifs internes, et risquerait d’accroître encore les processus ségrégatifs entre collèges, et à l’intérieur des collèges.
Loin de favoriser l’égalité, c’est-à-dire en particulier la réussite scolaire des élèves de milieux populaires, le projet défendu par la Ministre est porteur d’une hiérarchisation accrue du système éducatif, et d’une attractivité plus grande encore de l’enseignement privé, ainsi que d’une sélectivité renforcée entre les élèves et leurs familles au sein de tous les collèges publics.