Deux pour, deux contre en débat à Roubaix
La FSU avait invité Alain Lipietz, Gilles Pargneaux, Yves Salesse et Francis Wurtz. échanges.
« Alors je serais de ceux qui veulent mettre hors la loi les partisans d’une économie mixte ? » Alain Liepietz, visiblement irrité, se penche vers son voisin, assis à l’autre bout de la table. « Tu veux bien me regarder dans les yeux, Yves Salesse, quand tu dis cela ? » Le débat était entamé depuis environ une heure, samedi après-midi, à Roubaix, entre les partisans et les opposants à la constitution européenne, quand le ton est monté d’un cran. Rien de grave, seulement un échange un peu vif. Juste de quoi témoigner que l’objectif de la rencontre n’était pas de faire dans le consensuel, mais de discuter franchement le sujet, à l’occasion des deuxièmes rencontres ECS (comme éducation, culture et société (1)). « En tant qu’organisation syndicale, nous pensons que nous devons produire du politique », s’explique Jean-Claude Cos, l’un des animateurs du rendez-vous. « Les gens souhaitent en savoir plus sur la constitution. Or le sujet n’est pas suffisamment traité. » En outre, le référendum approche, et la FSU n’entend pas se distinguer par sa neutralité. « Nous souhaitons que nos syndicats prennent clairement position dans les jours à venir. » Et pour cela, il faut connaître les arguments en balance.
Décidée à jouer le jeu jusqu’au bout, l’organisation a donc convié à sa tribune des représentants des deux bords. Côté « oui » : Gilles Pargneaux, député-maire PS, et Alain Liepietz, économiste et représentant des Verts. Côté « non » : Francis Wurtz, député européen communiste, et Yves Salesse, économiste et président de la fondation Copernic. D’un côté, ceux qui estiment que la constitution n’est certes pas la panacée mais autorise quelques progrès ; de l’autre, ceux qui pensent que le rejet du texte ne réglera pas tous les problèmes mais reste une condition sine qua non à la pérennité des services publics sur le Vieux Continent.
La joute - verbale bien entendu - ne pouvait être que passionnée et elle le fut. Examinant les articles du texte un par un, Alain Liepetz, d’abord, a voulu démontrer en quoi ils apportaient un bonus à l’organisation économique de l’Europe. « Quand le traité de Nice soumet les services publics à concurrence "dans la mesure où ça ne les empêche pas de fonctionner", le traité constitutionnel fait obligation aux États de les faire fonctionner », notait, en guise d’exemple, l’économiste. De la même manière Gilles Pargneaux estimait avoir affaire, pour la première fois, à un texte permettant « d’inscrire dans le marbre » les services publics en Europe. « Depuis le traité de Rome (en 1947 - NDLR), l’Europe ne s’est construite que sur des dispositions financières et économiques. Là, nous avons un texte qui ne va peut-être pas aussi loin que nous l’aurions voulu, mais qui pousse dans le sens d’une Europe plus politique. » Et qui contient, en sus, un élément démocratique fort en l’objet de la charte des droits fondamentaux, poursuivait-il.
Et tous deux d’avancer un argument massue : voter contre le traité constitutionnel, c’est, d’une certaine manière, voter pour le traité de Nice.
Que réfutent, évidemment - c’est même une tautologie que de l’écrire - les deux opposants au projet. « Le sort réservé aux services publics n’est pas une question abstraite », estime Francis Wurtz prenant pour exemple le secteur de l’énergie. « On connaît la spirale. EDF a ouvert 25 % de son capital à la concurrence. Pour garder ses clients, elle a baissé ses tarifs. Puis a racheté des entreprises italiennes. Tout cela lui a coûté des moyens. Et l’a contrainte à privatiser un peu plus. » Et de prendre à la lettre les articles avancés comme atouts par ses deux interlocuteurs. Le texte dit : « Tous, dans l’Union, attachent une valeur aux services, etc.’ », relevait le député européen. Avant de questionner. « Attachent une valeur ? Cela nous fait une belle jambe, quand en face se met en place la directive Bolkestein (2) ».
Quant à Yves Salesse, il s’attachait à démontrer les dangers contenus dans la nature même du texte. « Ce n’est pas un traité, c’est une constitution. Ne croyons donc pas qu’une loi nationale pourra s’y opposer : elle devra s’y soumettre. » Une aberration politique, selon lui, quand le texte énonce dans le détail le principe de la libre concurrence. « Imaginez une seule seconde que la stratégie économique soit inscrite dans la constitution française. Cela signifierait que même un gouvernement de gauche ne pourrait mettre en oeuvre une autre politique. Cela ferait des partisans d’une autre économie, y compris d’une économie mixte, des hors-la-loi. » Et de citer à son tour un article, le 321. « En cas de troubles internes graves ou de menaces de guerre dans un État membre, les États de l’Union se consultent afin d’éviter que la décision de l’État concerné n’affecte le marché. » La salle, elle, semblait acquise à une idée : un tel culte ne peut, en aucun cas, être compatible avec le concept de services publics.
Marie-Noëlle Bertrand
(1) Les rencontres ECS de Roubaix sont nées à l’issue du mouvement du printemps 2003. Cette année, outre les syndicats de la FSU, une dizaine d’organisations y ont participé, dont la Confédération paysanne, Espace Marx, ATAC, la LDH, les Libres-Penseurs, le Comité hors AGCS et les comités de quartier de la ville.
Article paru dans l’édition du 25 janvier 2005.