Depuis plusieurs semaines, certains chefs d’établissements ont demandé aux équipes disciplinaires qu’elles se « positionnent » sur des projets d’EPI en vue la rentrée 2016, et qu’elles se prononcent formellement sur leurs « besoins » en termes de dédoublements notamment.
Conseils d’enseignement, conseils pédagogiques, réunions à la sauvette autour d’un sandwich … tout est fait pour culpabiliser les uns et des autres : « si vous ne demandez rien vous n’aurez rien », ou encore « concernant votre poste l’an prochain, je ne pourrai rien faire si je n’ai pas de projet » ...
Les professeurs de Lettres classiques, première victimes de ces pressions récurrentes, sont même parfois sommé-e-s de rendre aux personnels de direction le travail pédagogique envisagé dans le cadre d’un EPI Langues et Cultures de l’Antiquité (LCA), au prétexte que cela serait rendu obligatoire par les nouveaux textes réglementaires (décret et arrêté du 19 mai 2015), et nécessaire pour que soit mis en place un Enseignement de Complément (EDC) LCA …
Certain-e-s exercent même un odieux chantage aux postes, en menaçant les plus réticent-e-s de nos collègues de dégrader leur conditions de travail (et celles des élèves !) de ne pas affecter de groupes sur la « dotation à disposition » si les demandes ne leur sont pas remis, voire de ne rien faire pour leur éviter un complément de service ou une mesure de carte scolaire.
La belle liberté des équipes ! La joyeuse autonomie des établissements permise par cette réforme du collège !
Trêve d’ironie : les tensions et la souffrance engendrées par des comportements d’autant plus inacceptables qu’ils sont ceux de représentants de l’État, amènent à s’interroger sur les motivations réelles qui conduisent à des situations extrêmement tendues.
Alors pourquoi ?
- S’agit-il, en s’appuyant sur des projets d’AP/EPI, d’obtenir une DGH plus importante en heures d’enseignement ? Certainement pas : AP et EPI sont inclus dans les horaires-élèves (26h), et chaque collège sera renvoyé à sa « marge à disposition » pour financer de groupes.
- Proposer, se positionner sur ces marges dès maintenant en conseil pédagogique influera-t-il forcément sur la répartition des moyens ? En aucune façon : le conseil pédagogique n’a qu’une compétence consultative, … et le chef d’établissement peut proposer un TRMD radicalement différent de ce qu’il a promis en novembre : il n’est engagé en rien.
Et pour cause : personne ne sait pour l’heur ce que sera la DGH 2016 ! Et elle pourrait bien être très mauvaise dans la majorité des collèges, où les effectifs devraient diminuer, ce que les Dasen 59 et 62 mettront en avant pour justifier les retraits de moyens et dédouaner une réforme … qui en supprime !
S’agit-il alors de dérives, de dérapages isolés et de personnels de direction particulièrement zélés et autoritaires ?
La question valait d’être posée au secrétaire général du SNPDEN-UNSA, qui syndique 3 personnels de direction sur 4, l’UNSA étant par ailleurs un fervent soutien à cette réforme. Comment faire ? Tout simplement l’interpeller sur le réseau social Twitter, en lui signalant que certains de ces collègues voudraient, par exemple, conditionner la mise en place d’un EDC LCA, à la remise de projets d’EPI !
Voici sa réponse sur copie d’écran :
Ni dérive, ni dérapage, ni zèle : pour la fédération UNSA (minoritaire dans le 1er et le 2d degré), la réforme du collège est d’abord un outil pour asseoir l’autorité pédagogique des chefs d’établissements. La « dotation à disposition » un moyen revendiqué de casser le collectif formé par les enseignants pour permettre au pilote de mieux piloter. Les EPI ? Le vers hiérarchique dans le fruit pédagogique.
Une contractualisation sournoise, hors de toute référence aux textes, visant seulement à saper un des fondements de notre métier d’enseignant : la liberté pédagogique.
Pour ce syndicat de représentants de l’Etat, qui a au moins compris que la réforme ne se ferait pas sur le plan pédagogique car la profession n’en veut pas, il faut au moins réussir l’OPA sur le Conseil d’Administration et imposer l’idée que le CA, ce n’est que le chef, et qu’il dispose de toute latitude pour contourner par la droite une réforme inapplicable en l’état.
C’est le sens de la position nationale, qui a valeur de consigne, prise par l’exécutif du SNPDEN le 16 novembre :
Ce qui veut dire en clair :
– la réforme est morte-née, tirons notre épingle du jeu et habituons les enseignants à justifier de leurs pratiques afin de les oritenter nous-mêmes
– localement, proposons des TRMD les plus éloignés possibles de toute référence à un cadre national contraignant (l’Etat de droit ni plus ni moins) pour nous rendre seuls maîtres à bord, et tenter d’échapper à la colère des personnels dont les postes seront menacés ... En leur rappelant qu’au 1er trimestre ils avaient fait eux-mêmes ... des choix.
Des personnels de direction prêts à tout pour ne pas appliquer la réforme, des recteurs et Dasen incapables de trouver des solutions concrètes pour les profs de LV ou de lettres qui seront impactés par les retraits de moyens ... Tout indique qu’il est urgent, non pas d’utiliser une autonomie qui déréglemente car elle fait le jeu de la hiérarchie locale, mais de revendiquer l’abrogation d’une réforme en exigeant la publication d’un nouvel arrêté sur l’organisation des enseignements au collège, avec de nouvelles grilles horaires fléchant les groupes et réintroduisant les options supprimées, tout en laissant l’interdisciplinarité aux choix des équipes volontaires, en plus des enseignements disciplinaires et dans le cadre du groupe-classe.