BAC BLANQUER : LE BAC INEGALITAIRE, PAROLES DE PROFS

M. Blanquer parle pour cette session du baccalauréat d’un bac « régénéré ». Certes, pour la 2e année consécutive, la crise sanitaire devrait permettre de délivrer le diplôme à plus de 95% des candidats, ce qui représente près de 10 points de plus par rapport aux sessions habituelles et le Ministère ne prend ainsi que peu de risques de se faire attaquer. 
Mais cette session de bac aura été surtout l’occasion pour le Ministère d’expérimenter deux chantiers phares de ses réformes. Un premier bilan s’impose à la lumière des nombreux témoignages que des collègues ont transmis à la section académique du SNES FSU de Lille.

UN GRAND ORAL QUI NOTE LES PERSONNES PLUS QUE LES SAVOIRS

Le premier concerne le Grand Oral, préparé dans des conditions très inégales selon que les classes étaient passées ou non en demi-jauge. Les cadrages réglementaires pour cette nouvelle épreuve sont arrivés tardivement et dans l’académie de Lille, à la faveur d’erreurs massives dans les convocations des enseignants de jury, beaucoup de candidats ont été interrogés sur une question de leur spécialité sans qu’aucun des deux enseignants interrogateurs ne soient spécialistes de la discipline.

"Je suis professeur dans la spécialité cinéma audiovisuel, j’ai été appelé en urgence le lundi par mon proviseur-adjoint pour interroger des élèves de mon établissement. Le collègue qui était de jury avec moi, était un professeur d’histoire. Aucun des élèves que nous avons interrogés ne présentait de question en histoire ou en audiovisuel et nous avons donc interrogé en dehors de nos compétences disciplinaires"

"Deux profs de maths convoqués pour un jury de STI2D (sciences et techniques de l’ingénieur et du développement durable), aucun prof de la discipline. Le chef de centre n’a rien voulu entendre, on a donc fait passer des élèves sur une matière inconnue de nous deux !"

Comment ne pas voir dans ces dérives, une volonté claire de faire de cette épreuve non plus une épreuve disciplinaire, avec des contenus travaillés tout au long de la scolarité, mais une épreuve qui valorise des compétences de « savoir-être » très subjectives et surtout très discriminantes socialement 

Par ailleurs, pour le Grand Oral comme pour l’oral de l’Épreuve Anticipée de Français (EAF), les candidats passant l’examen dans leur établissement d’origine, certains chefs de centre ne se sont pas gênés pour faire pression sur les enseignants pour obtenir d’eux une notation plus favorable à leurs élèves. Cela montre les pires travers d’un bac local soumis aux injonctions et aux pressions locales. Quand il s’agit de son pourcentage de réussite au bac, certains chefs d’établissement perdent tout repère déontologique et respectueux du cadre réglementaire, menaçant l’intégrité même du diplôme.

LA BOITE NOIRE DE LA FABRICATION DES NOTES DU BAC

L’autre expérimentation concerne le contrôle continu. La part des bulletins de 1re et de terminale devait à l’origine porter sur 10% du bac mais les aménagements sanitaires l’ont portée à 82% en série générale et 80% en séries technologiques. Profitant de ce précédent créé par la situation sanitaire, le Ministère veut imposer pour les sessions futures un contrôle continu issu des moyennes trimestrielles à hauteur de 40%. Pourtant, les aménagements en faveur du contrôle continu ont été loin d’être satisfaisants au regard de l’équité qui doit être garantie pour l’examen du bac. 
En effet, d’une classe à l’autre et d’un établissement à l’autre, les moyennes peuvent varier et aucun critère ou aucune évaluation nationale ne vient rétablir ces inégalités. Dans l’ancien système, cela ne posait pas problème puisque de ce point de vue, les seules notes qui « comptaient » pour l’obtention du bac étaient celles obtenues lors d’épreuves nationales, anonymes et harmonisées dans le cadre de « commission d’entente ». Les notes de l’année, indicatives pour l’examen, permettaient à l’élève d’évoluer, de se former et de se situer par rapport aux exigences attendues lors des épreuves. 
Il faut entrer dans la mécanique sophistiquée prévue cette année par l’Education Nationale pour se rendre compte à quel point désormais les notes risquent de devenir le fruit de manipulations complexes, peu lisibles, et pour tout dire peu transparentes et inégalitaires. Le processus a eu lieu cette année en trois phases : le jeudi 1er juillet, avec une phase d’harmonisation « massive » où les moyennes de l’établissement en 2021 étaient comparées, discipline par discipline, à celles de 2018 et 2019 et où elles ont été une première fois remontées.

"Après les explications plus ou moins claires de la part des Inspecteurs Pédagogiques Régionaux, nous avons compris ce que l’on attendait de nous. Il s’agissait de « comparer » par établissement et par matière les moyennes obtenues au Contrôle Continu en 2021 avec les « moyennes de contrôle continu » (sic) en 2018 et 2019. Le but est d’éviter des écarts trop importants entre ces 3 moyennes, et de remonter les moyennes d’au moins 0,5, 1 point ou plus si ces différences s ’avéraient trop grandes. Les deux inspectrices ont souligné à plusieurs reprises que nous étions là pou faire « de l’harmonisation de masse » ou de « l’harmonisation massée ». Puis, on nous a projeté des tableaux Excel et quelques diagrammes sur des cas fictifs, non évolutifs. De toute évidence, et de manière même pas cachée, on nous enjoignait à remonter les moyennes. Aux nombreuses questions qui fusèrent, nombre de collègues se déclarant incapables de faire ce travail de statisticien, les réponses apportées furent lacunaires voire absentes. De plus, de nombreux collègues manifestèrent leur mécontentement et hostilité face à une tâche, ne relevant pas de nos compétences disciplinaires ni pédagogiques, et qui aurait pu être réalisée par un algorithme. D’autres pointèrent l’incohérence de la mission : en effet, comment comparer des choses incomparables, des moyennes obtenues en séries S, ES,L dans le cadre de l’ancien bac (moyennes de 2018 et 2019) et moyennes obtenues dans les spécialités ou le tronc commun du bac Blanquer !..."

Naturellement, le but recherché était moins d’atteindre l’équité de traitement que d’afficher de bons taux de réussite pour ce nouveau bac comme en témoigne ce collègue : 

"J’ai posé la question : "Peut-on aussi baisser la note si elle ne correspond pas aux bacs précédents ? Réponse : "Non !" Je repose la question avec Insistance... Réponse : oui mais alors "à la marge" et "après que l’on (les IPR) ait contrôlé".  

Certains établissements, comme on l’avait déjà observé pour Parcoursup, ne se sont d’ailleurs pas interdits de remonter par avance les moyennes qu’ils ont transmis aux serveurs qui collectent les notes du contrôle continu pour calculer le bac : 

"Dans certains établissements, les notes avaient déjà été remontées en interne, une collègue d’un collège privé avec laquelle j’étais en jury de Grand Oral m’a expliqué que l’administration ayant considéré que ses élèves étaient meilleurs, elle augmentait d’office les moyennes de 2 ou 3 points !"

Une 2e phase dite de « pré-délibération » a eu lieu le vendredi 02 juillet avec examens des livrets scolaires pour tous les candidats. Comme chaque année, une fourchette était donnée pour déterminer jusqu’où le jury était invité à "repêcher" les candidats : par exemple, cette année, il fallait 963 points sur 2 000 pour être rattrapé et obtenir le bac (soit 09.63/20), les candidats pour l’oral de rattrapage ont pu être rachetés à partir de 763 points, la mention "assez bien", données normalement à 12/20 pouvait être décernée à partir de 1170 points (11,7/20) etc... Habituellement, ces délibérations se font dans le cadre d’un jury constitués des correcteurs des copies des candidats et ce sont les correcteurs qui endossent le responsabilité de remonter la note de la copie qu’on leur a confiée quand l’appréciation du livret scolaire le permet. Cette année, seuls deux professeurs, et parfois un seul, ont assuré cette mission mais sans rien connaître des élèves sinon les commentaires du livret scolaire. 

 " Le vendredi, on nous apprend que les jurys désormais se composeront des deux mêmes personnes que la veille : c’est à dire qu’à deux, on va se décider sur le sort d’une centaine d’élèves qu’on ne connaît absolument pas, dont personne n’a pu voir les capacités (par une copie ou autre) et donc que l’on va juger digne du bac ou d’une mention sur la seule foi du livret scolaire… ce qui signifie énorme part de responsabilité à l’établissement d’origine (avec tout ce que cela implique) et un jury de bac qui se sent au mieux une machine à enregistrer."

"En tant que jury, nous sommes tous deux aptes à évaluer toutes les matières (du chinois à l’hébreu,) grâce à une convocation de 24 pages recensant toutes les matières existantes !!!"

Là encore, le but est clairement d’afficher de bons résultats : 

"Toujours la même consigne : cela ne doit être qu’à l’avantage de l’élève. "

Même la mention "euro" a ainsi pu être modifiée par des enseignants qui n’en avaient pourtant pas la compétence : 
 
"Nous pouvons aussi préconiser d’ajouter éventuellement un point ou deux sur la note d’oral de DNL (Discipline Non Linguistique, appelée communément "euro") si un candidat n’a pas la mention euro alors que son dossier est bon (compte tenu des conditions de passage de l’oral de DNL cette année). Cette modification n’est pourtant pas de notre ressort." 
 
Évidemment, ce système d’harmonisation a abouti à des résultats très inégaux : 
 
 "Donc, certains jurys (dans la même salle) ont rattrapé au maximum 22 points sur les dossiers, tandis que d’autres en ont allègrement ajouté 95 !!! (vu !)"

Un autre collègue témoigne : "Là où j’étais, il y avait une dizaine de jurys dans la même salle. Avec certains candidats rattrapés et pas d’autres, et une sensation de "course à l’échalote" puisque chaque jury laissé seul, sans aucune préparation des vice- présidents (le mien ; A, était même stagiaire, aucune expérience préalable de bac, et aucune réunion pour lui expliquer son rôle !!!) a souvent eu tendance à attribuer des points allègrement."
Dans certains jurys : plus d’élèves rattrapés que d’élèves laissés à leur niveau de départ, même si le livret n’était pas brillant. Résultat : toujours plus d’inégalités 

Une 3e phase a eu enfin lieu le lundi 05 juillet avec des « jurys de délibération » pour sanctionner l’obtention du diplôme et des mentions. Ces jurys ont associé très peu d’enseignants, ils étaient composés des seuls vice-présidents et avaient pour objectif de vérifier le travail mené le vendredi puis de verrouiller les résultats après avoir éventuellement à nouveau ajouté des points.

Un collègue témoigne : "Il est probable qu’il y ait de nouveau une harmonisation globale de la part des rectorats, statuant sur les moyennes des établissements. De cette manière, les moyennes des élèves et celles des lycées sont déconnectées. A quoi va correspondre le classement final des établissements ? Qui arbitrera ?"

Une autre : "PS : nous n’étions qu’en "pré-harmonisation" : lundi, sans notre présence (seuls quelques "vice-présidents sont convoqués), doit avoir lieu l’harmonisation académique qui sera validée par les présidents de jury. Ceux-ci, universitaires, n’étaient toujours pas connus vendredi ! Et en tant que jury, nous ne savons absolument pas ce qui va être fait de notre travail : révision ? Nouvelle augmentation, juste résolution des cas complexes ??? "

Le rectorat de Lille n’a pas communiqué sur la manière dont cette dernière harmonisation a eu lieu. L’an passé, des données statistiques sur les précédentes sessions avaient attribué des quotas de mentions à chaque établissement. Avec un tel système, le risque existe de voir se figer des hiérarchies d’établissements. Si ce pilotage par la statistique devait se pérenniser pour les futures sessions du bac Blanquer, ce serait une grave mise en cause du principe même d’égalité. 

Devant tant de manipulations, beaucoup de collègues sont ressortis très amers de cette session comme cette collègue qui a refusé de modifier des notes : 
 
"Encore un gros foutage de gueule quoi. De toute façon je n’aurais jamais accepté d’être complice de ce genre de bidouillage qui remet en cause le travail d’évaluation de collègues. Faut pas déconner. Bref, je suis complètement désabusée par ce métier. Usée, dégoûtée, déprimée même. J’espère que ça va s’arrêter tout ça parce qu’il y a clairement maltraitance institutionnelle et je ne suis pas la seule à être à bout."
 
Un autre déclare : "En réalité, il s’agit de lisser les moyennes conformément à la moyenne académique. Ce n’est souhaitable ni pour la valeur du diplôme, ni même pour les élèves, que ça ne favorise pas. Si le fait que certains établissements se prêtent à un « truquage » des notes est révoltant, l’idée qu’on remonte une moyenne, fût-ce « en masse », parce qu’elle est moins élevée que l’année précédente l’est tout autant, et d’autant plus que cette moyenne est, pour autant que l’on sache, le résultat du travail d’un collègue qui n’a sans doute pas attribué ses notes en jouant aux dés."

Un témoignage sur les oraux de l’EAF, ici

DE QUEL PROJET BLANQUER EST IL LE NOM 

Aux yeux de beaucoup de monde, le contrôle continu porte une promesse séduisante : moins de stress, plus de régularité, des notes qui « reflètent » mieux la réalité du travail scolaire dans sa continuité. Le Grand Oral est présenté lui, comme l’occasion d’évaluer d’autres qualités que celles de l’écrit académique. La réalité est toute autre : le bac classique possédait de nombreuses épreuves orales qui ont désormais disparu ; l’introduction d’une épreuve aussi formelle que le Grand Oral donnera l’avantage à ceux qui maîtrisent plus des codes que de fond. Le contrôle continu donnera lieu à toutes les surenchères imaginables notamment lors de ces phases dites d’harmonisation qui donneront lieu à coup sûr à toutes sortes de manipulations. Pire, en plaçant la note au centre de toute la scolarité de l’élève, il ruine la pédagogie, c’est à dire l’idée même que l’on peut faire progresser les élèves dans leurs apprentissages. 
Le SNES FSU s’inscrit en faux contre toutes les dérives qui ont donc marqué cette session du bac 2021 et qui montrent, en creux, à quel point les projets de Blanquer et Macron reposent sur des logiques inégalitaires et qui serviront finalement ceux que la société avantage déjà le plus. Il redit tout son attachement au bac comme diplôme national, sur des épreuves terminales, nationales et anonymes car le bac est aussi une institution de la République.