Dans cette rubrique, des témoignages (parfois édifiants) sur la mise en place des ESPE
Le 13/09/2015
Je passe très régulièrement sur ma boîte e-mail ESPE, guettant je l’avoue un emploi du temps, et en profitant pour nettoyer les infos qui ne m’intéressent pas (je n’ai pas besoin d’offres de baby-sitting dans cette boîte e-mail, non), et la seule info concernant un cours quelconque était que ma rentrée se passait ce matin à 8h45 (info diffusée - assez peu clairement ici http://www.espe-lnf.fr/spip.php?article31 - sur le site de l’ESPE et non sur cette dite boîte mail). J’ai donc été très surprise d’apprendre ce matin qu’il y avait un cours hier matin, donc avant notre rentrée officielle. Inutile, je pense, de préciser que, ce cours n’ayant pas été annoncé à ma connaissance que par le biais d’affichage à l’UFR d’Arras, il s’est déroulé de façon pour le moins intimiste... C’est dommage, mais étant en établissement ou en train de préparer des cours la plupart du temps, j’ai assez peu l’occasion de me rendre sur le campus par pur plaisir. On nous avait bien précisé qu’en cas d’absence, nous verrions 1/30e de notre salaire déduit : sur les 29/30es restants dois-je prévoir un budget ’boule de cristal’ - qui sera sans doute plus efficace pour obtenir les informations importantes que la boîte mail de l’ESPE... - ou cela est-il déductible en tant que frais professionnels ? :) Je plaisante, mais c’est en fait assez agaçant, et nous sommes plusieurs dans ce cas.
Le 10/09/2015
Je tiens à signaler que pour les DU Entrer dans le métier, la rentrée n’est pas du tout sereine... Les professeurs ne savent à quels cours on doit assister, quel est notre emploi du temps. L’option TICE n’est pas du tout adaptée à notre cas : étant avec les M2 qui ont déjà validé certaines compétences pour le C2i2e lors de leur M1, ces compétences ne nous seront pas présentées cette année sauf si peut être l’ESPE met en place un module spécial.... Bref, personne ne sait ce qui va se passer. On nous demande d’être assidu mais on ne sait même pas à quels cours assister... Il y a un réel manque de communication de l’ESPE avec les professeurs...
Le 21/01/2014
Je ne sais pas corriger une écriture d’invention, m’adresser à un parent d’élève, écouter un élève persécuté, je ne connais pas les premiers gestes de secours. Je ne sais pas interpréter l’agressivité d’un élève, parler de géopolitique et expliquer le conflit israelo-palestinien avec mes Secondes, et d’ailleurs, je n’ai pas su rassurer mes élèves et parler de l’attentat de Charlie Hebdo devant mes classes. Je ne sais pas renvoyer un élève de cours parce qu’il est allé trop loin sans trembler, je n’arrête pas de culpabiliser quand je sanctionne un élève, et parfois même, je ne me sens pas légitime face à eux. D’ailleurs quand on me demande ce que je fais dans la vie, je ne sais pas quoi répondre « Je suis professeur de français, mais pas vraiment en fait… ». Je ne sais pas m’occuper d’un enfant dyslexique, ne pas l’abandonner et l’accompagner. Il arrive que je ne sache pas pourquoi mes élèves ne m’écoutent pas, et comment séparer, de mon mètre soixante, Corentin et Raphaël qui se sont battus en classe la semaine dernière, en plus de cela, je ne sais pas prendre de recul quand je rentre chez moi. Je ne sais pas comment gérer mon stress et arriver sereine devant la 2nde4 que je redoute tant, je ne sais pas gérer une classe de 31 élèves… Mais on me dit qu’il n’y a pas de recette et on me donne des cours de littérature médiévale.
Merci l’ESPE.
Une « fonctionnaire-stagiaire »
Le 16/01
Je suis dans l’embarras car mes frais de déplacement sont conséquents étant donné que mon collège se situe à X et ma formation à Y. De plus, je dois effectuer ces déplacements deux fois par semaine car nous avons cours les mercredis et les jeudis. Je tiens à préciser que les cours de mercredi sont totalement inutiles puisqu’il s’agit d’un séminaire de deux heures, nous devons simplement émarger. Donc je dois supporter 3 heures de transport pour aller corriger mes copies dans un amphi et pour signer une feuille de présence...
Le 13/11
Depuis que je suis enfant, je rêve de devenir enseignante. Le choix de la discipline s’est fait bien plus tard, par amour pour une langue et une culture que je souhaite partager et transmettre. C’est donc naturellement que j’ai suivi mes études avec passion, engouement et enthousiasme. J’ai obtenu ma licence avec mention bien puis mon master enseignement également avec mention bien en 2013. Je me suis investie et j’ai donné de ma personne dans le master et la préparation du concours du CAPES que j’ai obtenu dès la première tentative en juillet 2013.
C’est au vu de mes résultats que mes professeurs m’ont encouragée à préparer et présenter le concours de l’agrégation 2014. Je n’ai pas été admise mais cependant récompensée de mes efforts puisque j’ai été admissible. Ce fut une année de préparation longue, stressante, éprouvante physiquement et moralement, tout un chacun sait ce que signifie préparer un concours de l’Education Nationale.
J’ai donc abordé cette rentrée 2014-2015 avec entrain et enthousiasme, une année pour enfin commencer ce que j’ai toujours souhaité : enseigner. Une année qui s’annonçait riche en expériences, en échanges et en développement personnel et professionnel. Une année qui s’annonçait loin du stress et de la pression des trois années passées (master 1, master 2 + capes, agrégation).
En réalité la rentrée 2014 rime avec pression, stress, mensonge et s’éloigne de tout ce que j’avais imaginé. En effet, j’apprends au mois de septembre qu’un Diplôme Universitaire a été crée pour les professeurs stagiaires qui ont déjà validé un master. Pourquoi pas ? J’apprends alors que ce DU doit être validé avec un mémoire (dit « dossier réflexif », nom sans doute moins effrayant), qui doit lui-même être validé par une note égale ou supérieure à 10 pour un avis favorable du directeur de l’Espé au moment de la titularisation. Quels mots choisir pour exprimer ce que je ressens ?
Commençons par la non reconnaissance des diplômes obtenus. En effet, les cours du DU sont identiques à ceux dispensés pour les étudiants, stagiaires ou non, de master 2. Or, je possède déjà un master 2 enseignement : cela signifie que j’ai déjà suivi ces mêmes cours. De plus, on me demande un dossier réflexif : j’ai déjà validé un mémoire pédagogique sur une expérience d’enseignement lors d’un stage en responsabilité en master 2 avec une note de 15. Le travail demandé est le même et cela revient à nier l’existence de mon diplôme de master enseignement. Il s’agit pourtant d’un diplôme d’Etat : il a une valeur nationale.
Continuons avec le sentiment suivant : la trahison. Trahie par de fausses promesses. Comment est-ce possible d’être punie pour avoir tenté le concours de l’agrégation alors que l’Etat encourage la formation de ses fonctionnaires ? C’est pourtant bien ce dont il s’agit. La trahison va de pair avec le mensonge. En effet, mon année de stage a été reportée d’un an et sans me prévenir, les règles du jeu ont changé.
D’autre part, l’Education Nationale arbore comme slogan « l’égalité ». Où est l’égalité territoriale pour les professeurs stagiaires français ? Comment expliquer que d’une académie à l’autre un DU soit crée ou non, un dossier réflexif soit ou non exigé alors que nous avons tous le même statut, celui de fonctionnaire stagiaire. Le ressenti, au-delà de l’inégalité, est celui de l’injustice. D’autant plus que l’Etat manque d’enseignants et n’hésite pas à mettre face aux élèves des étudiants vacataires titulaires d’une simple licence. Alors comment vivre la situation ?
Enfin, que dire de la pression exercée par les formateurs qui s’apparente à du chantage : « pour la validation du dossier réflexif, tu dois assister aux cours ». Cours pour lesquels j’ai été dispensée d’assiduité grâce à mon master. Puisque des aménagements (validés par la direction de l’Espé) ont été conçus pour les stagiaires dans mon cas, détenteur d’un master enseignement, pourquoi ne pas les respecter ?
Inutile de dire que le terme qui convient à tout ce qui a été énoncé précédemment est celui de préjudice moral. Oui, je me sens victime d’un préjudice moral. Mes diplômes sont niés, aucune formation adaptée à mon parcours n’a été mise en place, la pression exercée par la formation est immense. Quelles valeurs vais-je à mon tour transmettre à mes élèves ? Celles que ma hiérarchie m’appliquent ?
Il est indéniable qu’une formation est nécessaire et bienvenue mais pourquoi ne pas l’adapter à nos parcours ?
Le 17/10 :
Lettre ouverte à ceux qui nous dirigent
On veut enseigner, laissez nous travailler.
Ici Lille 3, nos oreilles et nos voix. Nous nous joignons aux oreilles et aux voix amies de nos confrères des quatre coins de l’hexagone. Des voix linguistes, littéraires, sportives, économistes, historiennes, matheuses, physiciennes, philosophes, scientifiques. Des voix de profs. Beaucoup de voix de profs. Oui, ça commence à faire beaucoup.
Ici, à Lille 3 les informations circulent mal, voire pas du tout. On se demande ce que l’on fait, ce que l’on doit faire, ce que l’on peut faire.
Dans les couloirs, les jeunes pousses de profs s’indignent !
« Journées interdisciplinaires en supplément de tout, qui fait quoi ? à quoi assiste-t-on ? Quelles sont les modalités d’évaluation ? Sur quoi sommes-nous évalués ? POURQUOI sommes-nous évalués, alors que nous avons été recrutés sur nos diplômes ainsi que nos compétences universitaires et la posture professionnelle démontrée par l’obtention du Capes ou de l’agrégation ??? »
Ils désespèrent :
« On est logés à la même enseigne, que l’on soit en DU ou en Master : assiduité demandée pour chaque cours de chaque UE (normal, nous somme en "alternance") alors que certaines de ces UE n’ont aucune application concrète pour nos classes et sont clairement des préparations à l’épreuve de synthèse du concours...
Se scandalisent :
On nous menace, nous infantilise, nous empêche de faire notre métier ! Il nous est interdit de nous absenter ou de partir plus tôt des journées de "formation" à l’ESPE, pour nous rendre aux conseils de classe, réunions parent-prof ou tout ce qui a trait à notre métier de professeur, et de suivi de nos élèves et classes. Ces formations auxquelles d’un commun accord tacite nous faisons simple acte de présence. Mais, dans les faits, nous sommes des profs, et donc d’anciens bons élèves, alors on participe, on échange, on partage… la boule au ventre et nos mécaniques cérébrales qui roulent et roulent et s’emballent quand on pense à tout ce qu’on pourrait faire de chouette, ou juste faire, pour nos classes le lendemain, au lieu de discuter théorie et de refaire le monde.
– Mais ! Vous êtes payés pour assister à ces formations, vous êtes en alternance ! disent les décideurs
– Nous sommes aussi payés pour assister aux conseils de classe, aux réunions parents-professeurs … Alors on fait quoi ???
Nous ne savons pas. C’est aussi simple. C’est le brouillard. Et le brouillard, c’est déprimant. Et bonjour les tentatives de communication (unilatérales, injonctives et effrayantes). Une lettre de M. le recteur nous est parvenue hier soir. Ah. Oops non, ils avaient oublié de mettre la pièce jointe. Elle est donc arrivée aux chefs d’établissement avant nous. Nous l’attendons toujours.
En somme, l’atmosphère est lourde, et le climat désastreux. Les jeunes profs ont le moral en berne et les formateurs académiques qui tentent tant bien que mal de nous accompagner dans cette entrée dans le métier sont désemparés. Ils n’ont pas plus d’information que nous, ne peuvent donc ni les relayer, ni travailler de façon constructive.
Bref, nous ne voyons pas le bout du tunnel. Les chuchotements de démission se font entendre, discrètement et anonymement dans les couloirs des ESPE, la peur au ventre.
– Si c’est comme ça, je vais changer de carrière.
Merci Institution ! Merci de tes réformes intempestives et assassines, tes décisions gouvernementales du bout du rouleau ! Tu tues le fœtus dans l’œuf, et décourages nos perspectives d’avenir. Nos envies et nos savoir-faire sont noyés par tes trivialités !
Nous avons envie de bien faire ! Nous avons bien conscience du pain sur la planche et nos manches sont retroussées ! Alors pourquoi se foutre de nous comme ça ?
Nous avons des demandes, et nous avons des voix. Nous avons aussi des diplômes. Beaucoup. Et une intelligence vive.