30 août 2010

Les établissements

Plongée dans l’enseignement par « compétences » ...

Le livret de compétences sera à l’ordre du jour des réunions de mercredi, ne serait-ce que parce que la réussite au DNB, session 2011, sera conditionnée par la validation des compétences du LPC. Il fait l’objet de 2 textes officiels publiés réçemment :

 Livret Personnel de Compétences, arrêté du 14-6-2010 - J.O. du 1-7-2010 : http://www.education.gouv.fr/cid52377/mene1015788a.html
 Mise en œuvre du LPC, circulaire n° 2010-087 du 18-6-2010 : http://www.education.gouv.fr/cid52378/mene1015809c.html

Nous invitons les personnels à prendre connaissance de la circulaire dès maintenant, ainsi que de l’article ci-dessous, publiés à l’issue du stage collège de janvier 2010.

Dans l’immédiat, il faut rappeler :

1) Que l’évaluation disciplinaire, par compétences ou chiffrée, reste de la seule responsabilité des enseignants, à l’exclusion des personnels de direction et de surveillance notamment

2) Qu’il est impossible de confier au professeur principal (ou au conseil pédagogique s’il existe) la tâche des renseigner les items qui ne concernent pas sa discipline.

3) Qu’on ne peut donc renseigner le livret sans que chaque collègue se soit prononcé(e)

4) Que seuls les élèves de 3e devront valider le socle, via le LPC, pour prétendre être lauréat du brevet 2011, cette validation pouvant être repoussée en dernière limite au conseil de classe du classe du 3e trimestre. Les textes n’imposent donc pas l’évaluation par compétence pour les autres niveaux d’enseignement.

5) Que la circulaire n’impose en rien un rythme (trimestriel ou mensuel) dans l’élaboration du LPC. Par contre, elle établit que cette évaluation est opérée « Dans le cadre des enseignements habituels » (disciplinaires). Les chefs d’établissement ne peuvent donc exiger des temps d’évaluation dédiées du type « épreuves communes ».

Extrait du bulletin académique n°276 (fev-mars 2010)

Plongée dans l’enseignement par « compétences » Révolution copernicienne ou restauration conservatrice ?

PAR MAGALI LAUMENERCH ET SAMUEL DUMOULIN

« L’approche par compétences » (APC) arrive en France. Nico Hirtt, enseignant en Belgique et animateur de l’association « Pour une école démocratique » (APED) est l’auteur d’une étude approfondie de l’APC qui analyse les circonstances et les effets de la mise en place de cette nouvelle « mode pédagogique » dans plusieurs pays, parmi lesquels le Québec, la Suisse romande et la Belgique francophone. Invité par la section académique au stage « collège » du 25 janvier dernier, il a d’abord démontré le non-sens pédagogique auquel aboutit la restructuration de l’enseignement autour des « compétences », avant de décrypter les arrières pensées des puissants promoteurs de l’APC.
Rigoureuse et documentée, l’analyse de Nico Hirtt dénonce une négation du savoir, un accroissement des inégalités entre élèves et un bouleversement stérile de nos pratiques professionnelles, masqués par un discours pédagogique parfois généreux et moderniste. Et décèle la véritable portée de l’APC : une soumission de l’enseignement aux besoins d’une économie capitaliste en crise.

Mobiliser Emile Zola !
A quoi servent les professeurs ? A cette question, la Banque mondiale, dont la légitimité sur le sujet ne saute pas instantanément aux yeux, avait répondu au début des années 1990 : plutôt que des transmetteurs de savoirs, ils doivent être des facilitateurs d’apprentissage. Cette philosophie de l’éducation postule que ce qu’il importe de transmettre aux élèves, ce ne sont pas des savoirs, mais la capacité de mobiliser des « outils » en vue de mener à bien des tâches à la fois complexes et inédites. En somme, suggère la banque mondiale, il s’agirait de permettre aux élèves de faire face aux différentes situations de l’existence, plutôt que de les assommer de savoirs théoriques dispensés pendant d’interminables cours magistraux proférés d’un ton monocorde par des profs vêtus d’une blouse grise au cours d’après-midis pluvieux. Cruel dilemme.
Ainsi l’APC proclame ouvertement la supériorité des « compétences » sur les savoirs. Et recommande la réduction de ceux-ci à ce qui peut être « mobilisé » en vue de « la réalisation de tâches », « dans des situations de la vie ? ». Or, avez-vous déjà « mobilisé » Emile Zola, le calcul intégral, la peinture expressionniste, la tectonique des plaques, le subjonctif imparfait, le néolithique, « dans des situations de la vie » ? On mesure ici l’un des soubassements de l’approche par compétences : le mépris pour le savoir, l’appauvrissement de la culture.
Instrumentalisation et réduction des savoirs, donc, mais aussi culture du résultat, qui ne mesure la pratique pédagogique qu’à l’aune du résultat final. Et qui promet une véritable omniprésence de l’évaluation, l’élève étant, en permanence, placé devant des tâches à résoudre. Autre aberration « pédagogique : les compétences dites « transversales », non adossées à des savoirs disciplinaires. « Savoir résoudre un problème », par exemple, est un objectif d’apprentissage parfaitement creux.
L’approche par compétences est aussi facteur d’inégalités plus grandes entre les élèves. D’abord, parce que les programmes scolaires, axés sur les compétences et non plus sur les connaissances, sont beaucoup plus flous. En Belgique francophone, le programme d’Histoire pour la dernière année du secondaire tient en 32 mots, laissant la place à la soi-disant « liberté pédagogique » de l’enseignant ! Avec quelles disparités d’un établissement à l’autre ? Ensuite, parce que la détermination du niveau nécessaire pour la validation d’une compétence est renvoyée à chaque établissement, voire à chaque enseignant ! Enfin, la construction de savoirs nouveaux, qui n’est plus une priorité pour l’Ecole, est renvoyée au milieu familial, ce qui accentue les inégalités sociales. Une dizaine d’années après la refonte de l’enseignement belge autour des compétences, un rapport de l’Inspection pointe sans surprise les conséquences négatives sur le niveau de connaissance des élèves. Et reconnaît que cette nouvelle approche génère des différences de niveau par l’absence de référentiel substantiel commun.

A qui profite le crime ?
Mais alors, à quoi bon ? Nico Hirtt y répond en remontant aux sources de cette notion et en interrogeant les motivations de ses promoteurs. Le concept de compétence s’est généralisé dans le domaine éducatif sous l’influence de l’OCDE, de la Commission européenne et d’organismes comme la Banque Mondiale. Il est directement importé du monde de l’entreprise, et, selon l’aveu de ses promoteurs même*, il procède d’une pression des entreprises pour faire prendre en charge par les systèmes éducatifs une formation qui leur demandait du temps et de l’argent. Dans ce contexte, l’approche par compétences, outre qu’elle donne un cadre conceptuel commun à l’enseignement et au monde de l’entreprise, a pour fonction de résoudre la contradiction entre un enseignement « unique » pour tous les élèves jusqu’à 12, 14 ou 16 ans selon les pays, et un marché du travail fortement – et de plus en plus – polarisé. En effet, sous le vocable de « société de la connaissance » promu par le Parlement européen, se cache en réalité une économie dont les besoins sont répartis en une part d’emplois très hautement qualifiés et une masse de travailleurs peu formés mais adaptables, flexibles et « souples ». Dans les 25 pays de l’UE le nombre d’emplois de ce type devrait passer de 8,6% en 1996 à 11,8% en 2015. Accroître la mise en concurrence de ces salariés est un des objectifs du patronat. Conclusion empruntée à un consultant britannique, dans un rapport pour la Commission européenne : « De l’augmentation de l’offre de ces compétences-là résultera une baisse des salaires réels pour tous les travailleurs qui en disposaient déjà ». Plus largement, la validation – locale - de compétences ayant aussi pour effet de faire voler en éclat l’existence de diplômes – nationaux – sur lesquels se fondent les conventions collectives et les grilles de salaires, c’est l’ensemble du monde du travail qui est visé.
En 2001, l’OCDE déduisait du raisonnement précédent que, comme « tous n’embrasseront pas une carrière dans le dynamique secteur de la nouvelle économie (…), les programmes scolaires ne peuvent être conçus comme si tous devaient aller loin ». Avec le socle commun, nous y sommes.