29 mai 2022

Les établissements

« Silence on lit », « Quart d’heure lecture » ... De quoi parle-t-on ?

« Silence on lit », « Quart d'heure lecture » ... De quoi parle-t-on ?

Article et son affiche à diffuser

1) D’où ça part ?

« Silence, on lit » (SOL) est en fait le nom d’une association, née en 2016, qui veut s’appuyer sur des expérimentations pratiquées dans un lycée à Ankara en 2001. Selon le site de l’association, un premier temps de 10 minutes aurait alors été mise en place, avant d’être allongé de 5 à la demande des élèves.

Le conseil d’administration de l’association comprend notamment une académicienne, et jusqu’il y a peu la PDG des Editions Fayard. Son fonctionnement s’appuie sur des financements publics (Etat, collectivités comme par exemple le département du 62) et privés (recherche de mécénat d’entreprises et de fondations, y compris à caractère confessionnel comme ici), au travers de dons. Ce conseil d’administration est de taille réduite (de 6 à 12 membres), centrée sur les 3 membres fondateurs qui cooptent les autres.

Connue pour la promotion du dispositif « SOL », ce n’est qu’en juillet 2021 que l’association intègre à son objet le « quart d’heure lecture », là où en 2016 n’était évoquée que « la défense et la promotion du livre et de la lecture ».

Entre-temps, JM Blanquer est devenu ministre de l’Education Nationale, et le dispositif s’est étendu à des centaines d’établissements du 1er et du 2d degré. Dès octobre 2018, un courrier partait de la DGESCO (ministère) aux recteurs des différentes académies, en leur demandant de développer le quart d’heure lecture dans les écoles et les lycées dans le cadre de la mobilisation pour le livre et la lecture. « Silence, on lit » est rebaptisé en « Chut, on lit » sur le site de l’académie de Lille, mais l’idée est la même. Il s’agit donc bien d’une commande institutionnelle à l’origine, et non d’initiatives spontanées. Un courrier récent de la rectrice de Lille, incitant à généraliser la démarche, l’atteste.
Depuis, des formations sont venues fleurir les propositions du PAF, un groupe de travail académique porté par quelques IPR référents et de comité de pilotage parce que cela doit passer par la conviction par les pairs, rien ne permettant de l’imposer, et parce qu’il ne fait d’ailleurs l’objet d’aucune réglementation.
Notons que l’association SOL ne bénéficie pas, pour le moment, d’un agrément de l’Education Nationale, au niveau national comme au niveau académique. Et pour cause : l’association n’intervient pas le plus souvent en tant que telle dans les établissements, mais s’appuie sur des personnels qui se réclament de son action. En 2022, elle est associée au ministère de la culture pour la journée #10marsjelis, la lecture ayant été décrétée « grande cause nationale 2022 ». L’Education Nationale a promu cette journée au nom de la maîtrise des savoirs fondamentaux.

Mais en dépit du volontarisme de l’Institution, force est de constater qu’aucune étude étayée n’existe sur les effets réels de ce dispositif, dont ne rendent compte que des témoignages.

2) Quoi et quels objectifs ?

Il s’agit d’installer « des temps banalisés de lecture personnelle » où la seule règle/obligation est de lire de manière silencieuse un livre pendant 15 minutes (n’importe lequel mais un livre non imposé par un enseignant, pornographie exclue) que l’on a apporté. Généralement, le temps est pris sur une tranche horaire en début d’après-midi,
 soit prise sur l’heure de cours directement
 soit en-dehors des cours, par un jeu de réduction du temps de cantine, du temps de pause et de cours et rallongement de l’amplitude horaire d’une journée.
L’objectif affiché est d’engager les élèves à lire davantage, mais l’objectif aussi est d’apporter un climat scolaire plus serein : d’après le site Silence on lit, la mise en place du dispositif promet une baisse de 50% des incidents dans les établissements ... Sur le site de l’académie, cette idée d’un climat scolaire qui serait plus serein est aussi reprise ; quelques vidéos présentent d’ailleurs de manière assez artificielle un ou plusieurs établissements exemples, dans un silence royal avec tous les personnels et les élèves en train de lire ...
L’éducation prioritaire, comme souvent avec les nouvelles expérimentations, est visée plus particulièrement pour mettre en place ce type de dispositif, via le label Cités Educatives par exemple.

3) L’analyse du Snes-FSU : quels problèmes cela pose ?

Les élèves en difficulté déjà sur la lecture ont besoin d’être accompagnés. Le dispositif touchera donc essentiellement les élèves déjà lecteurs, mais est-ce vraiment l’objectif ?
Comment la lecture pourrait-elle être un plaisir si on ne comprend pas ce qu’on lit ?
Ce questionnement rejoint celui sur les tests de fluence, où finalement la compréhension n’est pas prise en compte.
Comment rentrer dans une lecture contrainte en 15 minutes ?
Comment lire et surveiller sa classe en même temps ?

La mise en place du dispositif, si elle est le fruit d’un travail et d’une réflexion collective au service des apprentissages et non d’une injonction professionnelle, ne pose pas de problème et relève de la liberté pédagogique. Idem si la mise en place est faire en dehors des cours par des collègues volontaires.

Malheureusement, de nombreuses remontées d’établissements font état de pressions (conseil pédagogiques, conseil d’administration) exercées pour mettre en place le dispositif. Il est même présenté dans les formations comme étant une commande académique qu’il faudrait mettre en place, et on enjoint alors de convaincre tous les collègues, sans lesquels le dispositif ne fonctionnerait pas.
Nous sommes ici en pleine injonction contradictoire : l’Institution, implicitement, demande aux enseignant.e.s, quelle que soit leur discipline, de réduire le temps d’enseignement pourtant incompressible si l’on s’en tient aux horaires obligatoires hebdomadaires.

Temps de travail/modification des horaires.

30 ans de réformes ont réduit les horaires de français notamment.
Si le diagnostic est établi d’un climat scolaire dégradé, n’y a-t-il pas d’autres choses à faire pour régler ce problème ? Moyens vie scolaire, réduction du nombre d’élèves par classe, dédoublements supplémentaires, etc.
Qui peut croire dans les vertus magiques d’un dispositif, quel qu’il soit, pour remédier à la fois aux problèmes de climat scolaire et aux difficultés d’apprentissages ?